homaa
Thursday, June 14, 2007
Tuesday, June 12, 2007
Notes "Le prisonnier de Chillon"
Notes.
1 – Lord Bayron écrivit ce beau poème dans une petite auberge du village d’Quchy, près de Lausanne, où il fut retenu par le mauvais temps pendant deux jours, en juin 1816,-- « Ajoutant ainsi, dit M. Moorc, un attrait de plus aux environs de lac déjà immortel. »
2 – « ma sœur m’écrit qu’elle a lu ce poème à M. de Luc, vieillard âgé de quatre-vingt dix ans, né en Suisse, et qu’il en a été enchanté. Il était avec Rousseau à Chillon, et il avoue que la description scrupuleusement exacte. Je me rappelai ce nom, et voici ce que je trouvai effectivement dans les confessions :
« De tous ces amusements , celui qui me plut davantage fut une promenade autour du lac que je fis en bateau avec de Luc père, sa bonne, ses deux fils et ma Thérèse. Nous mîmes sept jours à cette tournée par le plus beau temps du monde. Je gardai le souvenir des sites qui m’avaient frappé à l’autre extrémité du lac, dont je fis la description, quelques années après , dans la Nouvelle Héloïse. « ( Vol. 111, liv. V111.)
“Ce de Luc nonagénaire doit être un des deux fils. Il vit en Angleterre, infirme, mais conservant toutes ses facultés. Il est extraordinaire qu’il ait vécu si longtemps, et non moins bizarre d’avoir fait ce voyage avec Jean –Jacques, et d’avoir lu dans sa vieillesse un poème d’un Anglais qui avait fait précisément la même circumnavigation. » B. 9 avril 1817.
Le château de Chillon est situé entre Clarens et Villeneuve. Cette dernière ville s’élève à l’extrémité du lac de Genève ; le Rhône débouche à gauche de Chillon ; en face sont les hauteurs de la Meillerie et la chaîne des Alpes, au-dessus de Boveret et de Sait-Gingo ; derrière, un torrent descend le d’une colline ; le lac baigne les murs, et il a à cet endroit huit cents pieds de profondeur, mesure française. L’intérieur est distribué en prisons, dans lesquelles on renferma d’abord les protestants, puis après eux les prisonniers d’Etat. Le long du mur est une poutre noircie par le temps, et sur laquelle les prisonniers étaient exécutés. Dans les cachots sont sept piliers, ou plutôt huit : ce dernier ne fait qu’un avec la muraille. Le pavé conserve encore la trace des pas de Bonnivard, qui resta là enfermé plusieurs années. C’est près de ce château que Rousseau a placé la catastrophe qui termine son livre ; c’est la que Julie tomba dans l’eau en voulant sauver un de ses enfants Le château est vaste et s’aperçoit de très loin sur les bords du lac ; les murailles sont blanche. « L’histoire des premiers temps de ce château , « dit M. Tennant, qui le visita en 1841, « est très obscure ; Quelques historiens placent sa fondation en 1120 et d’autres en 1235 ; mais on ignore le nom de son fondateur ; Charles V, duc de Savoie, assiégea Chillon, disent les chroniques, et le prit en 1536 ; il y trouva de grands trésors et quelques malheureux qui gémissaient dans les prisons, et au nombre desquels était le grand Bonnivard. Sur le pilier où l’on dit que cet infortuné fut enchaîné, j’ai vu, gavé à la main, le nom de l’auteur dont le beau poème a plus contribué à sauver de l’oubli les noms de Chillon et de Bonnivard que les maux réels qu’a soufferts cet infortuné. »
4 L’intention de Byron n’était pas de peindre en particulier le caractère de Bonnivard ; le but du poème, comme celui du célèbre morceau de Sterne sur le prisonnier, était de considérer l’effet général de la captivité, son influence délétère sur l’intelligence, jusqu’à ce que l’infortuné arrive à ne fait qu’un avec sa prison et ses chaînes. Cette dégradation mentale repose sur des faits. Dans les Pays-Bas, où la détention perpétuelle remplace la peine capitale, on en a de nombreux exemples. A certains jours de l’année ces victimes d’une législation qui s’appelle humaine sont exposées sur la place publique, pour empêcher qu’on oublie leur crime et le châtiment qu’il a reçu . avec leurs cheveux gras, leurs traits hagards, leurs yeux que blesse la lumière du soleil, leurs oreilles qu’étonne ce bruit dont ils ont perdu l’habitude, ces malheureux ressemblent plutôt à des fantômes grossièrement taillés à l’image des hommes qu’à des êtres doués d’une âme. On nous a assuré qu’ils devenaient généralement fous ou idiots, selon que l’esprit ou le corps l’emportait, lorsque tout rapport harmonieux entre eux était rompu.
On dira peut-être que ce singulier poème est plus attachant qu’agréable. La prison de Bonnivard est, comme celle d’ Ugolin, un sujet trop lugubre pour que le peintre ou le poète puisse jamais parvenir à en adoucir l’horreur. Quelque sombre qu’en soit le coloris, ce poème rivalise avec les autres ouvrages de lors Byron, et il est impossible de le lire sans se sentir le cœur brisé à la vue de ce qu’a souffert cette innocente victime.
WALTER SCOTT
Le prisonnier de Chillon
Avertissement
Lorsque ce poème fut écrit, je ne connaissais pas suffisamment l'histoire de Bonnivard, autrement j'aurais cherché à agrandir mon sujet en parlant de son courage et de ses vertus; je dois les renseignements suivants à la bonté d'un citoyen de la république de Genève, qui s'honore de cet homme digne des meilleurs temps de l'antique liberté.
"François de Bonnivard, fils de lois de Bonnivard, originaire de Seyssel et seigneur de Lunes, naquit en 1496, Il fit ses études à Turin. En 1510, Jean-Aimé de Bonnivard, son oncle, lui résigna le prieuré de Saint-victor, qui aboutissait aux murs de Genève et qui formait un bénéfice considérable.
" Ce grand homme ( Bonnivard mérite ce titre par la force de son âme, la droiture de son coeur, la noblesse de ses intentions, la sagesse de ses conseils, le courage de ses démaches, l'étendue de ses connaissances et la vivacité de son esprit)-- ce grand homme, qui excitera l'admiration de tous ceux qu'une vertu héroïque peut encore émouvoir, inspirera encore la plus vive reconnaissance dans les coeurs des Genevois qui aiment Genève. Bonnivard en fut toujours un des plus fermes appuis : pour assurer la liberté de notre républque il ne craignit pas de perdre souvent la sienne; il oublia son repos, il oublia ses richesses, il ne négligea rien pour affermir le bonheur d'une patrie qu'il honora de son choix. Dès ce moment il la chérit comme le plus zélé de ses citoyens ; il la servit avec l'intrépidité d'un héros, et il écrivit son histoire avec la naïveté d'un philosophe et la chaleur d'un patriote.
" il dit, dans le commencement de son Histoire de Genève, que, dès qu'il eut commencé à lire l'histoire des nations, il se sentit entraîé par son goût pour les républiques, dont il épousa toujours les intèrêts. C'est ce goût pour la liberté qui lui fit sans doute adopter Genève pur sa patrie.
Bonnivard, encore jeune, s'annoça hautement comme le défenseur de Genève contre le duc de Savoie et l'évêque.
En 1519, Bonnivard devint le martyr de sa patrie. Le duc de Savoie étant entré dans Genève avec cinq cents hommes, Bonnivard craignit le ressentiment du duc; il voulut se retirer à Fribourg pour en éviterles suites; mais il fut trahit pardeux hommes qui l'accompagnaient, et conduit par ordre du prince à Grolée, où il resta prisonnier pendant deux ans . Bonnivard était malheureux dans ses voyages; comme ses maleurs n'avaient point ralenti son zéle pour Genève, il était toujours un ennemi redoutable pour ceux qui la menaçainet, et par conséquent il devait être exposé à leur coups. Il fut rencontréen 1530 sur le Jura par des voleurs, qui le dépouillèrent et qui le mirent encore entre les main du duc de la Savoie.Ce prince le fit enfermer dans le chateau ce Chillon, où il resta sans être interrogé jusqu'en 1536; il fut alors délivré par les Bernois, qui s'emparèrent du pays de Vaud.
" Bonnivard, en sortant de sa captivité, eut le plaisir de trouver Genève libre
et réformée. La république s'empressa de lui en témoigner sa reconnaissance et de le dédommager des maux qu'il avait soufferts; elle le reçut bourgeois de la ville au mois de juin 1536; elle lui donna la maison habitée autrefois par le vicaire-général, et lui assigna une penssion de deux cents écus d'or tant qu'il séjournerait à Genève. Il fut admis dans le conseil des deux cents en 1537.
" Bonnivard n'avait pas fini d'être utile : après avoir travaillé à rendre Genève libre, il réussit à la rendre tolérente. Bonnivard engagea le conseil à accorder aux ecclésiastiques et aux paysans un temps suffisant pour examiner les propositions qu'on leur faisait. Il réussit par sa douceur : en prêche toujours christianisme avec succès quand on le prêche avec charité.
" Bonnivard fut savant : ses manuscrits, qui sont dans la bibliothèque publique, prouve qu'il avait bien lu les auteurs clssiques latins et qu'il avait approfondi la théologie et l'histoire. Ce grand homme aimait sciences et il croyait qu'elles pouvaient faire la gloire de Genève : aussi il ne négligea rien pour les fixer dans cette ville naissante. En 1551 il donna sa bibliothèque au public; elle fut le commencement de notre bibliothèque publique, et ses livres sont en partie les rare et belles éditions du quinsième siècle qu'on voit dans notre collection. Enfin, pendant la même année , ce bon patriote institua la république son héritière, à condition qu'elle emploierait ses biens à entretenir le collège dont on projetait la fondation.
" Il parait que Bonnivard mourut en 1570, mais on ne peut l'assurer, parce qu'il y a une lacune dans le Nécrologe depuis le mois de juillet 1570 jusqu'en 1571
«Sonnet sur Chillon
Souffle éternel de l’âme indépendante,
Ô Liberté ! tu n’es jamais plus brillante que dans les cachots ;
Car là c’est dans le cœur que tu habites,
Le cœur que nul autre amour que le tien ne peut captiver ;
Et lorsque tes fils sont consigné aux fers
Et à la ténébreuse horreur d’un humide caveau,
Leur martyre fonde la victoire de leur patrie ,
Et la gloire de l’indépendance vole sur les ailes de tous les vents.
Chillon ! ta prison est un lieu saint,
Et ton triste pavé un autel ;
Car il a été foulé par Bonnivard,
Et ses pas y ont laissé leur empreinte comme dans un champ !
Ces traces, qu’on se garde de les effacer !
Elles en appellent de la Tyrannie à Dieu.
Le Prisonnier de Chillon
1
Mes cheveux sont blancs,
Mais ce n’est pas l’oeuvre des années ;
Ils n’ont pas non plus blanchi en une seule nuit,
Comme cela est arrivé à d’autres à la suite de frayeurs soudaines.
Ce n’est pas la fatigue qui a courbé mes membres :
Ils se sont rouillés dans un vil repos,
Car ils ont été la proie d’un cachot ;
Et j’ai eu le sort de ceux à qui on a interdit,
Comme un fruit défendu,
La jouissance de la terre et de l’air ;
Mais ce fut pour la religion de mon père que j’endurai la captivité,
Que je cherchai la mort.
Mon père est mort sur le chevalet,
Martyr de sa fidélité à sa croyance ;
Et pour la même cause,
Ses enfants ont habité une prison ténébreuse
De sept que nous étions
Nous ne sommes plus qu’un ;
Six jeunes hommes et un vieillard ont fini comme ils avaient commencé,
Fiers de la rage de la persécution ;,
L’un de mes frères sur le bûcher,
Et deux sur le champ de bataille
Ont scellé leur croyance de leur sang
Et sont morts comme leur père,
Pour le Dieu renié par leurs ennemis ;
Trois ont été jetés dans un cachot,
Et c’est moi qui en suis le dernier débris
11
Il y a sept piliers de structure gothique dans les cachots profonds et antiques de Chillon ;
Il y a sept colonnes massives et grisâtres,
Qu’éclaire obscurément une lueur triste et captive,
Un rayon de soleil égaré et comme perdu à travers les crevasses de l’épaisse muraille, Rampant sur l’humide pavé comme le météore qu’un marais exhale ;
Et à chaque pilier il y a un anneau,
Et à chaque anneau une chaîne ;
Ce fer est un métal corrodant,
Car sur mes membres ses dents imprimées ont laissé des marques qui ne s’effaceront plus Jusqu’à ce que j’aie pour jamais quitté ce jour nouveau pour moi,
Et que ne peuvent supporter sans douleur mes yeux ,
Qui n’ont point vu se lever ainsi le soleil pendant bien des années,
Je n’en puis dire le nombre ,
J’ai cessé d’en faire le long et pénible compte le jour où le dernier de mes frères succomba et mourut,
Et où, vivant encore, je demeurai gisant à ses côtés
111
Chacun de nous fut enchaîné à un des piliers,
Et nous étions trois,
Et pourtant chacun de nous était seul ;
Nous ne pouvions bouger d’un seul pas,
Nous n’apercevions les traits l’un de l’autre qu’à la clarté pâle et livide qui nous rendait méconnaissables à nous-mêmes :
Ainsi réunis,
Et pourtant séparés, les fers aux mains, la tristesse au cœur,
C’était une douceur encore,
Dans cette privation des éléments purs de la terre,
De pouvoir converser,
De nous consoler mutuellement,
De nous faire part de nos espérances,
De nous faire des récits d’autrefois,
D’entonner des chants héroïque et courageux ;
Mais ces chants mêmes se refroidirent ;
Nos voix, autrefois pleines et sonores,
Prirent un son lugubre et discordant ;
On eût dit l’écho des murs de la prison ;
Peut-être était-ce une illusion,
Mais elles me semblaient avoir perdu leur accent accoutumé
1V
J’étais l’aîné des trois,
C’étais à moi à soutenir le courage des autres et à les consoler ;
Je fis de mon mieux et les autres aussi.
Le plus jeune, que mon père aimait parce qu’il avait les traits de notre mère,
Avec ses yeux bleus comme l’azur du ciel,
C’est pour lui surtout que j’étais douloureusement ému ;
Et comment ne pas l’être en voyant pareil oiseau dans un tel nid ?
Car il était beau comme le jour,
(quand le jour était beau pour moi comme pour les aiglons, alors que j’étais libre)
Beau comme un jour polaire,
Cet enfant du soleil au vêtement de neige,
Dont la durée embrasse la longue clarté d’un été sans sommeil ;
Il en avait la pureté et l’éclat.
Doué d’une gaieté aimable,
Il n’avait de larmes que pour les malheurs d’autrui,
Et alors elles coulaient abondantes comme les ruisseaux qui sillonnent le flanc des montagnes,
A moins qu’il ne pût soulager les maux dont il ne pouvait supporter la vue.
V
L’autre avait une âme aussi pure ;
Mais la nature l’avait formé pour combattre contre son espèce ;
Robuste de corps, son intrépidité eût bravé le monde entier armé contre lui ;
Il était fait pour mourir avec joie en combattant au premier rang,
Mais non pour languir dans les chaînes.
Le bruit de ses fers abattit son courage,
Je le vis s’affaisser en silence.
Peut-être en fut-il de même de moi ;
Mais je me fis effort pour ranimer ces restes d’une famille si chère.
C’était un chasseur des montagnes,
Il y avait poursuivi le daim et le loup ;
Pour lui ce cachot était un gouffre,
Et des pieds captifs le pire de tous les maux.
V1
Au pied des murs de Chillon,
Le lac Léman étend ses vastes ondes à une profondeur de mille pieds ;
C’est du moins ce qu’a mesuré la sonde,
Du haut des blancs créneaux que les flots environnent (3 )
Vagues et murailles forment autour de ce lieu un double rempart,
Et en font comme une tombe vivante,
Le caveau sombre où nous étions est situé au-dessous de la surface du lac ;
Chaque jour nous entendions les clapotements de l’onde résonner au-dessus de nos têtes,
Et il m’est arrivé
Quand un vent impétueux se jouait dans le ciel, heureux et libre,
De sentir son écume pénétrer à travers les barreaux ;
Et alors le roc lui-même s’ébranlait,
Et moi je n’en étais point ému,
Car j’aurais vu venir en souriant la mort,
Qui m’eût affranchi de mes fers.
V11
J’ai dit que le moins jeune de mes frères était plongé dans l’accablement ;
J’ai dit que son cœur puissant languissait abattu ;
Il refusait toute nourriture,
Non parce qu’elle était rude et grossière,
Car nous étions habitués au régime des chasseurs,
et c’était là le moindre de nos soucis ;
Au lait de la chèvre des montagnes on avait substitué l’eau des fossés ;
Notre pain était celui qu’ont trempé les larmes des captifs depuis des milliers d’années,
Depuis le jour où pour la première fois l’homme condamna son semblable à vivre comme une brute dans une cage de fer.
Mais qu’étais cela pour lui et pour nous ?
Il n’y avait pas là de quoi affaiblir son courage ou son corps ;
L’âme de mon frère était de celles qu’eût glacées le séjour même d’un palais ,
Sans la faculté de parcourir les flancs escarpés de la montagne et d’y respirer un air libre.
Mais pourquoi différer encore la vérité ?
Il mourut.
Je le vit, et je ne pus soutenir sa tête ni atteindre jusqu’à sa main mourante,
Pas même quand la mort l’eut glacée, malgré les inutiles efforts que je fis pour briser ou ronger mes fers.
Il mourut,_ et ils détachèrent sa chaîne et creusèrent pour lui une étroite fosse dans le sol humide de notre prison
Je les suppliai en grâce de l’inhumer dans un endroit éclairé par le jour ;
C’était une pensée folle, mais je me figurais que même après sa mort ce cœur d’homme libre ne pouvait reposer dans un semblable cachot.
J’aurais pu m’épargner cette inutile demande ;
Ils ne firent qu’en rire froidement
Et l’enterrèrent là : une terre aplatie et sans gazon recouvrit celui qui nous était si cher;
Au-dessus resta suspendue sa chaîne vide,
Digne monument d’un pareil homicide !
V111
Mais lui, le favori, la fleur de notre maison,
Le plus aimé de tous depuis sa naissance,
L’image de sa mère par sa beauté,
L’enfant chéri de la famille,
l’objet de la suprême pensée d’un père martyr et de ma dernière sollicitude,
Celui pour qui je ménageais ma vie,
Afin qu’il fut moins malheureux maintenant et libre un jour ;
Lui aussi qui jusque-là avait conservé une gaieté naturelle ou inspirée,
Lui aussi fut atteint,
Et je vis de jour en jour cette jeune fleur se flétrir sur sa tige
…O Dieu ! c’est quelque chose d’effrayant à voir que le départ de l’âme humaine,
Sous quelque forme que ce spectacle se présente :
Je l’ai vue s’échapper au milieu des flots de sang :
Je l’ai vu sur les vagues courroucées de l’Océan,
Lutter sans l’agitation d’une agonie convulsive ;
J’ai contemplé sur sa couche pâle et sépulcrale le Crime en proie à ses terreurs délirantes : Mais c’étaient là des spectacles d’horreur
Ici rien de semblable ; ici une mort lente, mais sûre ;
Il s’éteignit dans une résignation si calme ;
Il se vit décliner, dépérir avec tant de tranquillité et de douceur ;
Sans une larme pour lui même,
Son âme tendre ne s’affligeait que sur ceux qu’elle laissait après elle ;
Et pendant tout ce temps sa joue avait une fraîcheur qui semblait donner un démenti à la Mort, et dont les teintes ne disparurent que lentement et par degrés,
Comme les couleurs d’un arc-en-ciel qui s’efface
Ses yeux conservaient un éclat transparent qui illuminait en quelque sorte la prison ;
Pas une parole de murmure,
Pas un soupir sur sa fin prématurée,
Quelques mots d’entretien des jours meilleurs,
Quelques mots d’espérance pour soutenir mon courage ;
Car j’étais accablé par le sentiment de cette perte,
La dernière et la plus grande de toutes,
Et puis les soupirs arrachés à la faiblesse de la nature expirante,
Et qu’il s’efforçait d’étouffer,
Devinrent de moments en moments plus lents et plus rares :
J’écoutai, mais je n’entendis plus rien ;
J’appelai, car mes crainte m’avaient rendu insensé ;
Je savais que mes cris étaient vains ;
Mais mon effroi ne voulait pas des conseils de ma raison :
J’appelai, il me sembla entendre un son ;
D’un bond impétueux je brisai ma chaîne ;
Je m’élançai vers lui : il n’était plus ;
Seul je restais dans ce noir séjour,
Seul je vivais, seul je respirais l’air humide et maudit de mon cachot ;
Le dernier, le seul, le plus cher anneau qui existât encore entre moi et le gouffre éternel,
Et qui me rattachât à ma race malheureuse ,
Venait de se rompre en ce lieu fatal
De mes deux frère , l’un était sous terre, l’autre dessus
Tous deux avaient cessé de vivre :
Je pris cette main qui était là immobile ;
Hélas ! la mienne était tout aussi froide ;
Je n’avais plus la force de me mouvoir ,
Mais je sentis que j’étais vivant encore,
Sentiment qui rend l’âme frénétique quand nous savons que ceux que nous aimons ne le Seront plus jamais .
Je ne sais pourquoi je ne pus mourir ;
Je n’avais plus d’espérance terrestre,
Mais j’avais la foi,
Et elle m’interdisait une mort égoïste.
1X
Ce qui m’arriva alors en ce séjour,
Je ne le sais pas bien,
Je ne l’ai jamais su ;
Je perdis d’abords l’impression de la lumière et de l’air,
Puis aussi de l’obscurité :
Je n’avais aucune pense, aucun sentiment, rien ;
J’étais comme une pierre parmi ces pierres,
Je végétais aussi inerte que le rocher stérile au milieu des brouillards ;
Pour moi tout était vide, froid, décoloré, ce n’était ni la nuit
Ni le jour, ce n’était pas même la lumière du cachot,
Se insupportable à ma vue fatiguée :
C’était un vide absorbant l’espace,
Une immobilité, sans lieu fixe ;
Il n’y avait pour moi ni étoiles, ni terre, ni temps, ni devoir, ni changement,
Ni vertu, ni crime, mais le silence,
Et une respiration muette qui ne tenait ni de la vie ni de la mort ;
Une mer de repos stagnant, mer sombre,
Sans limite, silencieuse, immobile.
X
Une lueur arriva à mon cerveau :
C’était le gazouillement d’un oiseau ;
Il cessa, puis recommença ;
Jamais l’oreille n’entendit de chant aussi doux ;
La mienne en fut reconnaissante ;
Mes yeux surpris et charmés errèrent autour de moi,
Et en cet instant ils ne virent pas ma misère ;
Mais peu à peu mes sens reprirent leur cours accoutumé ;
Je vis le pavé et les murs de ma prison se clore sur moi comme auparavant ;
Je vis la vacillante lueur du soleil ramper comme elle avait fait jusqu’à ce jour ;
Mais dans la crevasse qui lui laissait un passage était posé cet oiseau,
Aussi joyeux, aussi familier, et même plus, que s’il eût été sur un arbre ;
C’était un oiseau charmant ;
Avec des ailes d’azur et un chant qui disait des milliers de choses,
Et semblait les dire toutes pour moi !
Je n’avais jamais vu, je ne verrai jamais son pareil.
Il semblait, comme moi, avoir besoin d’un compagnon
Mais n’était pas la moitié aussi affligé
Et il était venu pour m’aimer alors qu’il n’y avait plus personne au monde qui pût m’aimer comme lui ;
Il était venu sur le bord de mon cachot pour me consoler et me rappeler au sentiment et à la pensée.
Je ne sais s’il était libre, ou s’il avait quitté sa cage pour se poser dans la mienne ;
mais je connaissais trop la captivité, cher oiseau, pour désirer la tienne !
Je ne sais si c’était un habitant du paradis qui, sous cette forme aillée,
Etait venu me voir ; car,
Le ciel me pardonne cette pensée,
Qui me fit tout à la fois et pleurer et sourire !
Je me suis souvent figuré que c’était l’âme de mon frère qui m’était venue visiter ;
Mais il finit par s’envoler,
Et alors je vis bien qu’il était mortel,
Sans quoi il ne serrait pas ainsi parti en me laissant doublement seul,
Seul comme le cadavre sous le drap mortuaire
Seul comme un nuage solitaire isolé dans le ciel par un jour radieux,
alors que dans le reste du firmament brille un azur sans tache ;
sorte de menace déplacée,
Suspendue dans l’atmosphère alors que le ciel est bleu et la terre riante.
X1
Et il se fit dans mon sort une espèce de changement ;
Mes gardiens devinrent compatissants, je ne sais pourquoi :
Ils étaient accoutumés à la vue de la souffrance ;
Mais cela fut ainsi :
On ne rattacha pas les anneaux de ma chaîne brisée,
Et j’eus la liberté de faire le tour de ma prison, de la parcourir dans sa largeur, puis dans sa longueur, puis dans tous les sens.
Je fis aussi le tour de chaque pilier, reprenant ma promenade où je l’avais commencée,
mais évitant avec soin de marcher sur la tombe de mes frères, dont aucune élévation du sol n’indiquait la place ;
Et s’il arrivait par mégarde que mes pas profanassent leur humble sépulture,
ma respiration devenait pénible, oppressée et je sentais mon cœur défaillir.
X11
Je creusai des marches dans le mur ;
Ce n’était pas pour m’échapper, car la terre renfermait tous ceux qui sous une forme humaine m’avaient aimé ;
Et désormais ce globe ne pouvait être pour moi qu’une prison plus vaste.
Je n’avais ni enfant, ni père, ni parents, ni compagnon de misère ;
Cette idée me vint et me fit plaisir,
Car rien que de penser à eux m’eût rendu fou ;
Mais j’étais curieux de monter aux barreaux de ma fenêtre
Et de reposer une fois encore sur les hautes montagnes un regard paisible et charmé.
X111
Je les vis : elles étaient les mêmes ; elles n’étaient pas changées comme moi ;
je vis sur leur sommet leurs mille ans de neige,
A leurs pieds le lac immense, et le Rhône rapide aux flots d’azur ;
J’entendis les torrents bondir et murmurer dans leur lit de rochers et à travers les buissons brisés ;
Je vis de loin resplendir la ville aux blanches murailles,
Et des voiles plus blanches encore effleurant l’onde ;
j’aperçu aussi une petite île qui semblait me sourire,
la seule qu’on pût découvrir :
c’était une petite île verdoyante,
qui ne paraissait guère plus étendue que le sol de ma prison ;
Mais dans son enceinte il y avait trois grands arbres,
Et sur elle soufflait la brise des montagnes,
Et autour d’elle coulaient des eaux limpides ;
Et il y croissait de jeunes fleurs aux belles couleurs, aux doux parfums.
Les poissons nageaient le long des murs du château
Le tous paraissaient joyeux ;
L’aigle volait emporté sur les ailes de l’aquilon naissant ;
Il me sembla ne l’avoir jamais vu fuir aussi rapidement,
Et alors de nouvelles larmes mouillèrent mes paupières,
et je me sentis troublé
Et je regrettai d’avoir quitté ma chaîne récente ;
Et quand je redescendis, l’obscurité de mon sombre séjour retomba sur moi comme un poids pesant, comme une tombe fraîchement creusée qui se ferme sur celui que nous voulions sauver,
Et cependant mon regard épuisé avait presque besoin d’un tel repos.
X1V
Le temps s’écoula ; si ce furent des mois, des années ou des jours, je l’ignore,
Je n’en tenais pas le compte ;
je n’avais aucun espoir de rouvrir mes yeux à la lumière,
et de voir dissiper les ténèbres qui les couvraient ;
Enfin, des hommes vinrent me mettre en liberté :
Je ne demandai pas pourquoi,
Je ne m’occupai pas de savoir où l’on allait me conduire .
Etre libre ou prisonnier avait fini par m’être indifférent ;
J’avais appris à aimer le désespoir.
Lors donc que ces hommes se présentèrent,
Et mirent fin à ma captivité, ces lourdes murailles étaient devenues pour moi une sorte d’ermitage.
Je les regardais comme ma propriété ;
Il me sembla presque qu’on venait m’arracher une seconde fois au toit paternel. Je m’étais lié d’amitié avec les araignées ;
Je suivais des yeux leur silencieux travail ;
J’aimais à voir les souris jouer au clair de la lune ; et pourquoi aurais-je été moins sensible que ces animaux ? nous habitions le même séjour ;
Et moi, leur monarque à tous, j’avais droit de vie et de mort
Et cependant, chose singulière, nous avions appris à vivre tous en paix.
Mes chaînes et moi, nous étions devenus ami, tant une longue communion contribue à nous faire ce que nous sommes :
Et moi-même, ce ne fut qu’en soupirant que je me vis libre 4.